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Ecriture en lutte contre langue de bois

Cher Jean-Michel,

La lecture de ta dernière intervention dans le JDD m’a laissé, une fois n’est pas coutume, un sentiment de joie, mâtiné hélas d’une ombre d’inquiétude que tu sauras bien vite dissiper.

Pour commencer, nous sommes d’accord : « il faut arrêter d’être obnubilé par le rôle de l’école dans les contaminations », maintenant que les personnels ont été entièrement vacciné·es, chaque salle de classe équipée d’un purificateur d’air et les élèves protégé·es par un protocole triple-giga-turborenforcé, les réas étant vides, il est grand temps de s’attaquer à des questions délaissées car en apparence plus mineures, comme l’écriture inclusive.

Lorsque tu avances que cette pratique exclut les élèves « qui souffrent d’un handicap cognitif, auditif ou visuel », je me réjouis franchement que tu t’intéresses à leur sort. Rassure-toi, à chaque élève avec notification MDPH est affecté une AESH (j’utilise l’accord d’écrasante majorité), une AESH, disais-je, formée, titulaire, et convenablement payée, dont le rôle est précisément d’adapter les textes pour les élèves qui en ont besoin, dans le cadre de la fameuse « école inclusive » que tu défends avec une juste vigueur. Rassure-toi encore, Jean-Miskine ; tu sembles confondre point médian et écriture inclusive, qui est avant tout l’utilisation de termes épicènes ou la mention explicite des hommes et des femmes. A quoi bon me diras-tu ? Mieux vaut un bon exemple qu’une longue démonstration.

Une amie présentant les métiers du livre en primaire hésitait à mentionner « éditrice, autrice, imprimeuse » en face d' »éditeur, auteur, imprimeur », après tout n’était-ce pas en faire trop et alourdir inutilement le propos ? Pourtant elle maintint ce choix et à la lecture de tous ces métiers, une élève s’exclama : « Ça veut dire que nous aussi les filles on peut faire ces métiers ! »

Si l’école doit se donner les moyens d’être inclusive et n’oublier personne en route, pourquoi alors ne pas proposer un enrichissement de la langue la rendant elle aussi inclusive ? Pourquoi ne pas prendre le taureau par les cornes, Jean-Minotaure, et permettre à toutes les petites filles de rêver d’être autrice, mécanicienne, électricienne, tradeuse, non pas tradeuse, et à tous les petits garçons de devenir psychomotricien, instituteur, sage-femme ?

Ce qui m’a mis le doute en t’écoutant, Jean-Militariste, c’est ton idée d’interdire l’écriture inclusive à l’école. Néanmoins, je suis certain que ce coup de masse dans la liberté pédagogique est purement accidentel, car ce n’est pas ton genre, si j’ose dire. 

A propos de liberté, l’écriture inclusive est avant tout un outil, inventé par des femmes en lutte pour ne plus être invisibilisées. Méfions-nous avant tout des affirmations péremptoires, chaussons nos besicles, Jean-Miro, étudions les 4 décennies d’études qui montrent l’utilité, les potentialités, les limites de cette écriture, éliminent les faux problèmes et esquissent des solutions aux vrais.

Echanger sur l’outil pourrait apporter plus qu’une interdiction pure et simple. Cela dit, il est un peu bouffon qu’on débatte de sa pertinence toi et moi entre hommes, imagine si on se mettait tous les deux à interdire aux femmes d’utiliser certaines formes de lutte ! Non, je plaisante, mais … imagine quand même. Ce serait aussi cocasse que de leur expliquer comment s’habiller, en inventant des règles du genre « Jean-Misogyne a dit… cache ton nombril ! » ou « Jean-Misogyne a dit… fais voir tes cheveux  » ! 

Enfin, quittons cet imaginaire quelque peu farfelu et revenons à la réalité. Tu affirmes que la langue, trésor intangible, immuable, jalousement préservé des triturations par les Académiciens (et une poignée d’Académiciennes, quand même), la langue est ce qui nous relie tous (et toutes ajouterai-je, un rien taquin). Cela m’ennuie un poil de ne pas être relié aux quelques excentriques sur la planète qui n’utilisent pas ce qui fait, je te cite, « notre puissance mondiale ». Pardonnons leur lubie et concentrons-nous sur notre point d’accord absolu : la langue ne doit pas être abîmée.

Or figure-toi que la destruction du langage est devenu un sport très prisé parmi tes petit·es camarades, qui « baissent les impôts des riches pour favoriser la redistribution », « ferment des hôpitaux pour mieux soigner », « suppriment les droits au chômage pour mieux accompagner les sans-emploi ». Figure-toi, Jean-Mirliton, qu’un certain monsieur Blanquer aussi est venu nous jouer ce même air de flûte. Il nous a promis une « revalorisation historique » de 0€ pour les trois quarts des personnels, des vaccins en mars qui n’arriveront que mi-juin ; il a invoqué l’égalité des chances pour la réforme du lycée et Parcoursup, qui est une machine à maintenir chacun·e à sa place dans sa société périmée dont nous ne voulons pas ; encore plus fort, il a interdit l’accompagnement des sorties scolaires aux mères portant le voile au nom des « valeurs de la République », tout en réalisant par cette seule mesure l’exploit de flétrir la liberté, l’égalité et la fraternité. Soit dit en passant, voilà de la pratique qui exclut salement. 

Tu comprends donc mon inquiétude, lorsque je te vois choisir entre deux manières de modifier la langue : écrasant l’une qui propose un enrichissement pour la rendre plus émancipatrice, promouvant l’autre qui vide les mots de leur substance par l’inversion permanente du sens, entravant tout débat, toute pensée critique.

Je n’imagine pas qu’un homme aussi providentiel que toi, Jean-Miracle, soit à l’aise dans ces basses quêtes dignes d’un Jean-Mytho, et s’abaisse à des prétextes fallacieux pour dessécher notre langue diverse, multiple, vivante.

Le coup de grâce est porté à cette langue que tu célèbres comme trait d’union, lorsqu’un locuteur refuse carrément d’entendre l’autre. A quoi bon mandater des élu·es si personne n’écoute nos propositions au ministère, nos revendications dans la rue, nos appels dans les établissements en grève, le cri de désespoir de nos collègues mettant fin à leurs jours ?

Tu me diras, Jean-Minitel, toi l’as de la com, pourquoi s’encombrer de vieilleries syndicales alors qu’il suffit de demander à Cyril Hanouna pour que tu décroches en direct, alors que tu sais trouver les mots pour nous parler sur TikTok, Konbini, et surtout BFM TV.Je sais que tu es trop pris par tes entraînements à la marelle et autres pierre-feuille-ciseaux pour échanger avec les personnels, alors je nourris secrètement l’espoir que tu quittes ce travail harrassant pour que tu puisses enfin écouter les femmes qui transforment la société. Rassure-toi encore, nous, personnels de l’Education Nationale, saurons exactement quoi faire de notre service public après ton départ.


SUD Education 91

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